Dans le monde des start-ups, et de la gestion d'entreprise, plus largement, le terme "pivot" est un néologisme introduit par Eric Ries au début de la décennie dans son livre "The Lean Startup". Selon lui, pivoter c'est changer de stratégie sans toucher à la vision. Dans un contexte d'entreprise en démarrage, qui cherche son marché, son produit, son offre... on comprend facilement l'idée. Le glacier qui se rend compte que ses glaces ne se vendent pas bien en blocs d'un litre tentera de les vendre dans la rue, en portions individuelles. Pour les entreprises plus installées, le situation est plus délicate, et les exemples de "grandes" entreprises ayant disparu faute de n'avoir pas su pivoter sont légion? Tout le monde a déjà entendu parler de Kodak ou de Polaroïd, mais ce ne sont là que la pointe de l'iceberg.
Pivoter est rarement anodin. Même s'il ne faut pas confondre pivot et création de nouvelle entreprise (nouvelle vision), tout changement de stratégie donne un sentiment plus ou moins intense de lâcher la proie pour l'ombre et implique des frais importants (R&D, développement de nouveaux produits et marchés, formation du personnel, réorganisations... Sans oublier les changements qui doivent s'opérer dans les têtes des collaborateurs. Il faut Il est donc légitime de s'interroger sur les conditions optimales d'une décision de pivot.
En septembre 2014, dans un article intitulé "
When and How to Pivot a Business Model" (
http://tinyurl.com/yynks55v), Martin nous propose son point de vue sur la question. Il y fait la part des choses entre des raisons internes (évolution du personnel, léthargie, faible performance) et des raisons externes (évolutions du marché, changements dans l'actionnariat, besoins des clients). Le fait que Martin a probablement dans la tête un univers de start-ups explique probablement pourquoi je ne suis pas en ligne avec lui. Aux trois raisons internés évoquées, je répondrais plutôt par une revitalisation, une réorganisation, de la formation... Quant aux changements dans l'actionnariat, je les vois davantage comme révélateurs de potentiels mal exploités. Restent les évolutions du marché et les besoins des clients. Ce qui ne veut cependant pas dire qu'il n'y a aurait pas de bonnes raisons internes de changer de stratégie.
Dans un article de mai 2018, Abhishek Kumar traite globalement du même sujet (
Is Pivoting the Business Model of your StartUp a great idea? -
http://tinyurl.com/y4jh3x9t). Il y défend l'idée qu'il faut envisager de pivoter pour mieux répondre aux attentes des clients, pour s'adapter à la dynamique du marché ou pour satisfaire les employés (sur ce dernier point...)
L'expérience me laisse penser que, dans les entreprises bien installées, le principal frein au pivot est lié à l'expression de la mission d'entreprise. Les patrons sont en général assez lucides sur la situation de leur entreprise. Par contre, ils ont des difficultés, souvent plus tacites qu'explicites" à envisager certaines évolutions, parce qu'elles seraient en contradiction avec leur perception de la vision. Kodak avait sans doute une vision centrée sur le procédé argentique (film, négatif, développement impression) et si les entreprises postales éprouvent tant de difficultés à intégrer le monde digital, c'est sans doute parce qu’elles se définissent comme des transporteurs et des distributeurs de lettres (courriers papier).
En conclusion, s'il me semble naturel pour toutes les entreprises de s'interroger régulièrement sur l'opportunité de pivoter, en fonction de ses objectifs et de sa compréhension du marché, il me semble tout aussi évident que d'associer une réflexion sur le "mission statement" de l'entreprise avant toute décision de pivot.