Le concept de "
signal faible" appartient à la mythologie de l'intelligence stratégique. C'est, me semble-t-il, une des seules conclusions que l'on peut tirer de chaque expérience plus ou moins longue sur le sujet. Certes, le concept a la vie dure dans les discours théoriques mais, confronté aux réalités de terrain, il semble bien souffrir de divers maux, dont celui
du biais du survivant qui affecte tant de discours orientés "
solutions magiques ou ultimes" (
Fake News ou Mute News? Qu'est-ce qui est le plus dangereux? -
https://tinyurl.com/vxymj3a). C'est aussi le point de vue défendu par l'excellent Christophe Deschamps sur son blog Outils Froids (23.03.18 -
De la pertinence du concept de signal faible en intelligence économique -
https://tinyurl.com/uvxjmjt) et dans d'autres articles dont notamment "
Les signaux faibles: du mythe à la mystification" (2016.11 -
https://tinyurl.com/v75ecls).
Ce dernier document nous invite rapidement à comprendre que les signaux faibles ne sont pas très objectifs. Leurs qualités, et leur force, dépendent largement des contextes dans lesquels ils s'expriment et sont envisagés. Pour s'en convaincre, on retiendra les citations suivantes:
- Ansoff et MacDonnell définissent le signal faible (1984) comme un «fait à propos duquel seules des informations partielles sont disponibles alors qu’une réaction doit être entamée, si l’on veut qu’elle soit parachevée avant impact sur la firme de l’évènement nouveau». Le fait que les informations soient «partielles» fait dire à Humbert Lesca (2003) que nous sommes plus proches de l’intuition pour caractériser une information ou un signal dit «faible».
- Après avoir défini un profil type de consommateur, sera jugé comme un signal faible tout comportement «déviant» en provenance d’un consommateur jugé comme «influent» ou «représentatif» d’un groupe donné.
- Cahen (2011) nous dit lui que "Le signal faible est «paradoxal»", qu'il répond à une intentionnalité, un regard et une attention qui ne peuvent être que subjectifs.
Le "signal faible" est, pour de nombreux acteurs, une sorte de graal, une sorte d'information stratégique ultime qui justifie l'implication, parfois déraisonnable, de ressources dans les activités d'intelligence économiques. Et dans cet esprit, on ne peut donner tort à Christophe Deschamps quand il nous lance cette interrogation: remarquons que si ces signaux faibles sont si importants, pourquoi ne pas déjà traiter les signaux forts?" La décision de traiter les signaux forts, internes et externes, est pour beaucoup d'organisations nettement plus intelligente que la traque des signaux faibles. Et gardons à l'esprit ce paragraphe qui nous dit que la véritable intelligence stratégique repose sur la capacité des organisations à se donner des objectifs et à leurs capacités à interpréter
les informations, signes et signaux grâce
à de l'intelligence collective.
Dès les fondations de l’intelligence économique, tant chez les auteurs anglo-saxons que pour les initiateurs du rapport Martre, il va de soi que l’information seule ne permet pas d’agir. Chez Wilensky (1967), l’intelligence est entendue comme le recueil, l’interprétation et la valorisation systématique de l’information pour la poursuite de ses buts stratégiques. Pour l’auteur américain, il ne s’agit pas d’un processus d’accumulation d’informations mais plutôt de production de connaissances, par les gouvernements et les industriels, et quand nécessaire, dans le cadre de stratégies collectives. Et le véritable levier concurrentiel et stratégique se trouve dans les compétences d’interprétation (interpretation skills) quand les principaux obstacles sont les rigidités organisationnelles (hiérarchisation et bureaucratisation en particulier).