La publication récente dans la presse de l'information relative à ce trader de la Deutsche Bank (et de ses collègues) qui avait conservé l'accès à sa messagerie bien après son licenciement, et qui a ainsi pu envoyer 450 mails, a réveillé en moi une question qui me taraude depuis bien longtemps:
quelles sont les limites de l'intelligence économique? (Licenciés, ils avaient toujours accès aux serveurs de la Deutsche Bank -
https://tinyurl.com/y4nwtuq9). Je me demande donc si, "
la faille de sécurité" qui a permis cette situation procède, ou non, d'un manquement dans les pratiques d'intelligence économique (notons que dans les articles que j'ai pu lire, aucun auteur ne fait de rapprochement avec l'IE).
On le sait, l'intelligence économique "à la française" est surtout définie par les trois piliers que sont la collecte de l'information, la protection et l'influence/lobby. Mais ces trois notions restent vagues et leurs frontières (volontairement?) floues. S'il paraît acquis qu'en matière de collecte d'information une limite est marquée par les textes légaux qui marquent les frontières de de la propriété intellectuelle, des secrets d'affaires et de l'espionnage, la situation est nettement moins claire pour les deux autres piliers. Le deuxième pilier, celui de la protection, voit régulièrement sa base élargie, par exemple, pour inclure la sécurité informatique y compris tous ses aspects techniques. Le troisième, quant à lui, flitre régulièrement avec le big data (business intelligence) et le marketing (stratégique?).
Pour ma part, je considère que la limite se trouve quelque part entre la réflexion stratégique, les motivations, et les mises en pratique des décisions, sur le terrain. Je ne crois pas que mes collègues doivent être des spécialistes de l'infiltration et du social engineering, de la sécurisation des systèmes d'information ou du social listening, toutes pratiques éminemment techniques qui, par ailleurs, peuvent exister en dehors d'un contexte d'intelligence économique. Par contre, il est de notre responsabilité d'amener les dirigeants d'entreprises à considérer le recours à ces outils et de décider, ou non, leur mise en action en fonction de leur pertinence et de leur rentabilité. Il faut bien constater que ce point de vue n'est pas partagé par tout le monde. Et il est probable que certaines évolutions marquées vers des activités très techniques trouvent leurs origines dans un besoin de donner du corps et de la lisibilité aux activités d'IE (par exemple l'évolution de la veille vers la surveillance des réseaux sociaux à des fins de marketing).
Ceci dit, je ne suis pas le seul à m'interroger à ce sujet. J'en veux pour preuve cet article de Francis Beau, le 27 novembre 2006 qui, faisant référence à un écrit de Francis Bulinge, nous dit notamment: "
...la sécurité est l’œuvre de tous, mais elle correspond en même temps à un ensemble de métiers spécifiques exercés par des professionnels. Englober les métiers de la sécurité (sûreté, investigation) dans la même enveloppe que les métiers du renseignement (maîtrise des sources et exploitation de l’information), au prétexte qu’ils ont tous deux une finalité stratégique, revient à gommer tout ce qui fait la spécificité de chacune de ces deux activités fondamentalement différentes, et à nier le professionnalisme de ceux qui les pratiquent. Une telle assimilation conduit immanquablement le public et, plus grave encore, l’ensemble des acteurs du jeu économique, à un amalgame néfaste" (le triple paradoxe de l'intelligence économique -
https://tinyurl.com/y5tkdenh).
Pour conclure, je dirais que pour moi, l'incident de la Deutsche Bank relève davantage de manquements procéduriaux de type "regulatory" (imposés par des normes et règlements) que d'intelligence économique. de la même manière, dans cette idée que l'IE doit passer la main aux "techniciens" pour la mise en oeuvre de recommandations, la surveillance des réseaux sociaux tient davantage de marketing que d'IE. Et je pense qu'un exercice de clarification des frontières de l'intelligence économique serait bénéfique pour tout le monde, tant les praticiens que les utilisateurs...