Saras Sarasvathy a étudié le comportement des entrepreneurs et dans cette conférence TEDxMidAtlantic en 2010, elle nous livre quelques unes de ses observations. Pas forcément intuitives. Au-delà de la mise en évidence d'une troublante similitude entre le développement théorique de la science (à partir du XVIème siècle) et celui de l'entrepreneuriat aujourd'hui, elle est porteuse d'une nouvelle, somme toute peu emballante pour les experts en études de marchés comme pour les veilleurs. Non seulement les entrepreneurs n'aiment pas les études de marchés mais ils sont aussi suspicieux vis à vis des informations prédictives de toutes natures. En revanche, ils aiment avoir le contrôle et se focalisent sur ce qu'ils maîtrisent. Comme ils maîtrisent leur futur, ils ne doivent pas le prévoir.
Somme toute, le point de départ des entrepreneurs est assez commun: ils construisent sur base de qui ils sont, de ce qu'ils savent et de ceux qu'ils connaissent. A partir de là, ils n'investissent que ce qu'ils peuvent perdre. Ils essaient alors d'embarquer dans leur aventure des personnes, des associés, qui ne mettront à disposition que ce qu'ils sont, ce qu'ils connaissent, ceux qu'ils connaissent. Jamais plus que ce qu'ils peuvent perdre.
Il m'intéresse également de constater que ce qu'elle décrit du comportement des entrepreneurs, notamment leur propension à rapidement sortir de leur cocon, pour parler et rencontrer des gens, pour leur proposer leur idée, un produit qui n'existe pas... est assez similaire à la démarche "lean startup". Et en cas de faible écho, ils n'hésitent pas à écouter et pivoter.
De-là à se dire dire que, parfois, l'intelligence économique se trompe de cible...
Hier soir, à la télé, j'ai entendu quelque chose de surprenant. Enfin, surprenant pour quelqu'un comme moi, un professionnel de la réflexion sur les modèles d'affaires. La parole était donnée à un grand cuisinier, multi-étoilé, qui réagissait à la décision française d'imposer un couvre-feu dans les grandes villes, qui le coupe des services du soir. Il évoquait les difficultés auxquelles il allait devoir maintenant faire face, en plus de tous les efforts déjà consentis par la corporation. Et il a eu cette affirmation étonnante: "Pour faire face à cette situation, nous avons été créatifs. Nous avons décidé d'ouvrir le samedi et le dimanche..."
Je ne doute pas que cette décision, d'ouvrir le WE, puisse être un challenge. Ce qui retient mon attention, dans cette tentative de pivot, c'est le manque de réflexion. Elle donne l'impression que ce cuisinier a sauté sur une des premières idées, une des plus évidentes. A priori. Un peu comme tous ces restaurateurs qui au début de la pandémie se sont lancés, sans trop de réflexion, ni de préparation, sur la livraison à domicile. Bien sûr, cette évolution de l'offre semble pertinente, réaliste, accessible à tous les acteurs. Mais à l'analyse, ou à l'expérience, il apparaît assez rapidement qu'une telle modification de la manière de travailler, même légère, peut entraîner des modifications profondes du modèle d'affaires. Et donc, rapidement, on a vu bon nombre de restaurants faire machine arrière et quitter le domaine du take-away.
Dans son récent article (Business Harvard Review - 7 juillet 2020 - How Businesses Have Successfully Pivoted During the Pandemic - https://tinyurl.com/y9hoztb4) Mauro F. Guillén nous parle justement de stratégies de pivotage mises en œuvre par des certaines entreprises. Il évoque d'ailleurs quelques pivots moins évidents pour les restaurateurs.
Pivoter, à priori, c'est bien. En première analyse, cela semble une excellente décision. Evidente. Mais malgré tout, la véritable question est celle de l'opportunité de ce pivot. Je n'ai bien sûr pas de réponse à cette question. Elle dépend de tant de paramètres, spécifiques à chaque acteurs. Par contre, ce que je peux dire, c'est que rares sont les entrepreneurs, surtout parmi les plus petits, qui ont le temps, l'énergie et les compétences pour mener cette réflexion en autonomie. A ceux-là, je recommande chaudement de se faire accompagner pour étudier leur situation et envisager les pistes qui s'ouvrent à eux, les plus évidentes comme les plus surprenantes. Les décisions n'en seront que plus rapides, plus pertinentes, plus rentables...
Ces derniers jours, la rédaction de billets relatifs à la gestion des documents et de l'information a ravivé quelques souvenirs anciens, du temps où j'étais actif dans ce domaine. Plus particulièrement les formations à la gestion de documents que j'animais pour les fonctionnaires des Institutions Européennes. Les principes de base, qu'il fallait inculquer aux participants, étaient bons et pertinents. Je les ai donc gardé en tête, et aujourd'hui, j'ai le plaisir de partager avec vous cinq premières bonnes pratiques, valables tant dans les environnements papier que numériques.
La première consiste à définir le concept de dossier. Les documents que vous recevez sont, pour une grande part, liés à ce qu'on pourrait appeler une "affaire", c'est-à-dire une vente, une installation, une intervention... Et pour chaque affaire, il devrait y avoir un début et une fin. Il convient donc de définir les "affaires", leurs dates de début et leurs dates de clôture.
En deuxième phase, il convient de faire la différence entre les documents officiels et les documents de travail. Les premiers sont ceux qui portent des engagements pris par votre organisation, ou envers votre organisation. Les définitions de dossiers devraient contenir un inventaire des documents officiels obligatoires. La partie "documents officiels" des dossiers doit être unique et conservée dans un endroit sécurisé. Les "documents de travail" sont ceux qui sont propres aux personnes. Ce sont souvent des notes ou des brouillons. Ces documents n'ayant aucune valeur "légale", seulement une valeur opérationnelle leur gestion est une responsabilité individuelle. Il peut donc en exister plusieurs, rangés en des endroits différents. Ils peuvent être perdus sans pertes, donc ne nécessitent pas d'être particulièrement protégés.
Il est important de clôturer (administrativement) les dossiers. Cela consiste à attribuer une date de clôture et à verser les dossiers dans les archives intermédiaires. Cette opération doit être accompagnée d'un nettoyage du contenu du dossier pour s'assurer que tous les documents obligatoires sont bien présents et pour ne conserver que les documents officiels. Lorsque la distinction entre documents officiels et documents de travail a été bien gérée, ce nettoyage est très facile et très rapide. On garde le "dossier officiel", on jette tous les "dossiers de travail". On essaiera d'éviter le piège de la conservation de documents de travail, qui pourraient servir de base à de nouveaux documents. Ils ne devraient pas être dans des dossiers, mais dans d'autres espaces de stockage individuels.
Une des règles d'or de la gestion de dossiers est qu'un dossier clôturé ne peut en aucun cas être rouvert! On ne peut en sortir ou y ajouter aucun document. Si un tel besoin existe, il faut alors soit se faire à l'idée qu'on a à faire à une nouveau dossier, soit réviser la définition des dossiers et les conditions de leurs clôtures.
La dernière bonne pratique que je partage avec vous aujourd'hui concerne l'attribution d'une durée de conservation des dossiers clôturés (la clôture administrative marque le début de la durée de conservation). Il est vrai qu'on parle plus souvent de la durée de conservation des documents, mais dans les faits, c'est la durée de conservation des dossiers qui prime. Celle-ci ne devrait pas être inférieure à la plus longue durée de conservation associée à une document dans le dossier. Mais d'autres éléments peuvent influencer vos décisions en la matière, comme la durée de vie de l'objet ou de la machine concernés, qu'il s'agisse d'un canapé ou d'un four industriel dont la durée de vie se compte en décennies.
Dernière petite remarque, mais qui a son importance, pensez au choix du format de conservation de vos documents. Peu importe que vous conserviez vos documents en format papier ou en format électronique, ce qui doit guider votre choix est la compatibilité avec la durée de vie et de conservation de vos documents. Assurez-vous que dans 5 ans, 10 ans, 50 ans... vous soyez toujours en mesure de lire vos documents en trouvant la bonne balance entre les conditions (coûts) de stockage et le besoin de gérer les évolutions technologiques qui pourraient rendre vos formats de conservation obsolètes.
Là-dessus, je vous souhaite une bonne journée de travail.
La méconnaissance des outils informatiques, notamment "office", risque mortel pour les organisations - https://tinyurl.com/y5q7en7m
C'est fort probablement de l'intelligence, mais je ne saurais dire si cette intelligence est économique, stratégique ou autre... En tout cas, une bonne compréhension et une bonne maîtrise des outils utilisés quotidiennemetn, plus spécifiquement des outils informatiques sont gages d'une d'une longue vie, paisible... pour les organisations.
Lors de mes premiers contacts avec les entreprises qui m'acceptent pour les accompagner pour un bout de chemin, dans une démarche d'intelligence stratégique, parmi les toutes premières questions, systématiquement, je leur pose deux questions. Qu'est-ce qui fait leur succès (ce qui explique qu'elles sont toujours-là) et qu'est-ce qui pourrait causer leur mort. La première donne des indications sur les différenciations qu'il serait sans doute utile de renforcer alors que la seconde permet de pointer des risques à éliminer. La surprise, mais avec le temps, ce n'en n'est plus vraiment une, réside dans la difficulté de mes interlocuteurs à répondre à ces deux questions...
La maîtrise des outils informatiques est rarement citée dans les risques importants auxquels l'organisation est confrontée. Fort probablement parce que du point de vue des dirigeants, tant que la terre tourne, il n'y a pas lieu de s'inquiéter. Même si, du côté du terrain, les utilisateurs souffrent plus ou moins fortement de l'inadéquation des outils aux besoins, ou plus simplement de mauvaises mises en œuvre ou utilisations.
La récente perte de 16.000 enregistrements de résultats positifs au covid-19 est pourtant là pour nous rappeler que, dans certains cas, ce risque existe et pourrait coûter la tête à certains (personnes ou organisations). Ainsi donc, PHE (Public Health England) a perdu 16.000 lignes dans une opération de transfert de données organisée autour de feuilles de calcul XLS. Cela laisse rêveur... (Covid: how Excel may have caused loss of 16,000 test results in England - https://tinyurl.com/y5wzt3wh) Il faut croire qu'il n'y a pas d'informaticien digne de ce nom dans leurs équipes. Ou qu'un manager, dans une logique de "management by excell" a cru bon pour son matricule de faire des économies de bout de chandelle.
Les limites d'Excell sont bien connues. Pourtant, de nombreuses organisations continuent, plus ou moins consciemment, à laisser certaines de leurs xls-based processes à flirter avec les limitations des feuilles de calcul de Microsoft (ou des autres aussi, d'ailleurs). Il faut sans doute en chercher les causes dans l'idée que "l'informatique" est considérée comme ne faisant pas partie du coeur de métier de l'organisation (!?!). Ce qui justifie l'outsourcing (l'éloignement) des principales compétences et responsabilités IT et pousse les équipes, pour assumer leurs tâches quotidiennes, à s'aider de logiciels inadaptés à leurs besoins/risques, et qu'ils ne connaissent pas vraiment. Notons d'ailleurs que cette méconnaissance de l'outil n'est pas propre à Excell. On peut très certainement considérer qu'il en va ainsi pour toutes les "suites office", traitements de textes en tête (il est sidérant de constater qu'en 2020, plus de 30 ans après l'apparition de cette classe de logiciels, une grande majorité des ses utilisateurs continuent à l'utiliser comme une machine à écrire... alors qu'elle a tellement plus à offrir...)
Cette réflexion renforce le message de mon dernier billet, qui engage les dirigeants d'entreprise à investir davantage dans les pratiques de gestion documentaire, leurs outils et formations pour développer les compétences de leurs personnels... (La gestion documentaire, une compétence de plus en plus indispensable... - https://tinyurl.com/y52gqql8).
Cette réflexion commence par un effort pour comprendre Teams, l'outil collaboratif de Microsoft, qui n'arrête pas de gagner en popularité et que mon employeur m'invite à utiliser, bientôt. Et la seule information contextuelle que je reçois est que Teams remplacera Zoom, décision conforme aux échos que j'ai en cette période de confinement et de développement du télétravail. Teams et Zoom seraient concurrents...
Quelques pages Web plus tard, il faut bien me rendre à l'évidence que les deux applications ne jouent pas dans la même catégorie. Le premier est surtout un environnement de travail collaboratif, avec une fonctionnalité de vidéo-conférence, alors que le deuxième est une application spécialisée en échanges vidéos... Pas tout à fait pareil...
Donc Teams permet les réunions vidéos, le partage de fichiers et autres contenus, des flux de conversations... entre collègues d'une même organisation, mais aussi entre partenaires d'entreprises différentes. Et là, on ne se refait pas, les premières questions qui me viennent sont relatives à la propriété des documents (et de l'information), et à la conservation de tout ce qui est échangé et partagé (où? chez qui...). D'autant que si le concept de travail collaboratif est bien appréhendé par les travailleurs, Teams deviendra rapidement l'espace principal de conservation des données, informations, échanges et documents relatifs à un projet, au détriment des espaces plus traditionnels (les files systems) au risque de déstabiliser la gestion documentaire de l'organisation.
Parmi les entreprises que je côtoie, visite, accompagne... rares sont celles qui sont vraiment bien organisées en matière de gestion documentaire. Bien sûr, elles ont adopté une organisation intuitive et pragmatique qui leur permet de faire face aux besoins quotidiens. Mais ces organisations, pour pragmatiques qu'elles soient, sont loin d'être "bullet proof". Le dossier unique (papier ou électronique) reste un concept. L'archivage est allègrement confondu avec les back-ups. Les documents engageant (légaux) sont traités comme les documents de travail. Les niveaux de sécurité (confidentialité) des informations et des documents sont au mieux aléatoires et aucune instruction n'y est attachée. Le "au cas où" est la première raison de conserver des documents. Les conditions d'ouverture de dossiers sont laissées à l'appréciation des uns et des autres. Et dans bien des cas, il n'y a pas de (procédure de) clôture. Sans compter que la messagerie est régulièrement utilisée comme un espace de stockage et de conservation des documents... Bref, c'est bien souvent chaotique. Et l'apparition des applications collaboratives, qui invitent les employés à jouer aux passe-murailles, n'arrange rien à l'affaire.
Il me semble donc urgent de recommander aux chefs d'entreprises de s'intéresser davantage aux faits documentaire/informationnel dans leurs entreprises. D'aller au-delà de l'idée que "et pourtant elle tourne" car il y a des gisements d'efficience à aller chercher et des risques (non négligeables) à réduire. De mesurer l'importance de chaque document/information et de leur appliquer un traitement adapté. De faire un inventaire circonstancié, sans oublier les outils et les pratiques qui pourraient échapper à leur autorité. Et surtout, d'éduquer le personnel car sans bonne compréhension, il n'y a pas de bonne application.
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Exercice d'été - à la découverte de modèles d'affaires