Il est toujours intéressant d'essayer de lire entre les lignes. C'est d'ailleurs une vertu importante des chasseurs d'information comme les praticiens de l'intelligence stratégique. Cela permet de ne pas se laisser enfumer par la faconde de quelque narrateur, et aussi de soulever de nouvelles hypothèses (à valider par la suite, ou pas...) Et dans cette démarche, il est toujours utile de multiplier les points de vue et de lire les commentaires de différents observateurs.
En juillet 2016, Unilever a acheté la start-up Dollar Shave Club pour un milliard de dollars, soit 5 fois le chiffre d'affaires prévu pour 2017. Excusez du peu! Dans un article sur le site fortune.com, Geoff Colvin et Ryan Derousseau considèrent que Procter & Gamble, autoritaire leader de marché avec ses rasoirs Gillette, est là victime d'une "disruption" inattendue. Dans leur esprit, il était inimaginable qu'une marque presque séculaire, construite et maintenue à coup de milliards de dollars de publicité et promotion puisse vaciller en quelques années sous l'influence d'un nouvel entrant... Ils en concluent que la question n'est pas de savoir si un business va être "disrupté", mais quand et comment (Power sheet: How P&G Missed Out on Dollar Shave Club's Rise -
http://tinyurl.com/knqshhc).
En fin d'article, on apprend toutefois que Dollar Shave Club an3,2 millions de cliente et que la part de marché de P&G en Amérique du Nord a perdu 12%, passant de 71% à 51%. Impressionnant, sur un marché dans lequel les principaux acteurs se battent à couteaux tirés pour la moindre miette de part de marché. On apprend aussi que c'est Unilever, l'ennemi de toujours, mais bien en retrait sur ce marché, qui a racheté le nouvel entrant...
Un article de Bloomberg (Why Unilever Really Bought Dollar Shave club -
http://tinyurl.com/zr7g9su) nous propose un autre éclairage du deal. Il nous laisse entendre que ce n'est pas tant une histoire de lutte de marques que de guerre de prix et d'expériences utilisateurs, contre lesquels ni la marque, toute massive qu'elle soit, ni la technicité des lames de Gillette, ont eu du mal à résister. Dollar Shave Club aurait "simplement" proposé un accès psychologiquement plus simple à ses lames de rasoir, un peu de futilité au hommes (son magazine Bathroom Minutes) et peut-être surtout un prix notablement plus attractif...
Finalement, cette histoire est peut-être simplement celle d'un acteur un peu arrogant qui voit sa rente de situation challengée par un nouvel entrant un peu moins gourmand ou capable de réduire les coûts... Le tout dans le cadre d'une lutte de géants...