La difficulté, avec des décisions et des annonces comme la récente décision d'Arcelor-Mittal de fermer des outils de la phase à froid de la sidérurgie liégeoise, tout comme dans la décision, à peine plus ancienne de Ford de fermer son usine à Genk, est qu'on peut facilement se perdre dans un déluge de commentaires. Chacun réagissant à l'aune de sa situation et défendant un point de vue pertinent et correct. Si les logiques s'affrontent et s'opposent, elles ne se positionnent simplement pas aux mêmes niveaux de réflexion.
Lorsqu'on pose un regard systémique sur ces situations on prend la mesure des hiatus auxquels nous sommes confrontés. Comment ne pas être en empathie avec les travailleurs qui vont perdre leur travail et comprendre la volée de noms d'oiseaux qu'ils adressent aux patrons qui semblent ne faire que peu de cas de leurs situations. Les patrons, qui prennent la décision de fermer des usines (bonne ou mauvaise, ne jugeons pas la décision) savent qu'il feront du dégât social. La décision de Mittal est bien sûr une catastrophe pour Liège, la Wallonie et la Belgique. Mais une fermeture d'usine ailleurs en Europe aurait été tout autant catastrophique pour les locaux. Que ce soit à Liège, en Alsace ou ailleurs, est-ce déterminant pour les patrons qui suivent leur propre agenda?
Les industriels et les hommes d'affaires ont a priori des objectifs de rentabilité des capitaux investis. c'est d'ailleurs principalement sur cette variable qu'ils sont jugés par leurs actionnaires. Les hommes politiques ont, quant à eux, des objectifs de bien être sur leurs territoires. L'affrontement est donc inévitable lorsque, chacun restant dans son système, les uns et les autres sont prêts à sacrifier les objectifs de l'autre au profit des siens.
Dans le cas de la décision d'ArcelorMittal, il est fort probable que la fermeture des sites liégeois a été consommée il y a six ans, lorsque la Région Wallonne en a donné les clés à Mittal. On va donc assister à un déluge d'efforts pour essayer d'amener Mittal à revoir ses plans, alors qu'il est dans une position quasi inexpugnable. Gageons qu'à l'époque, la décision qui fut prise par les hommes en charge du dossier était la meilleure eu égard aux informations dont ils disposaient.
Lorsqu'on prend des décisions, on mise sur des probabilités. On n'est donc jamais à l'abri d'une roue qui ne tourne pas comme on l'avait espéré. L'objectif n'est d'ailleurs pas de ne prendre que des bonnes décisions, mais il est bien de prendre statistiquement davantage de bonnes décisions que de mauvaises. C'est ici que l'intelligence stratégique et surtout sa grande sœur l'intelligence territoriale prennent tout leur sens car elles mettent leurs adeptes dans une dynamique de gestion de l'information qui vise à disposer dans ses mains de plus d'atouts (principalement de l'information) que la partie adverse. Il s'agit en fait de définir des objectifs stratégiques et en fonction de ceux-ci:
- identifier les informations manquantes et les actions à engager pour les obtenir
- identifier les informations manquantes à la partie adverse et les actions à engager pour lui en rendre l'acquisition plus difficile
- mener des actions d'influence pour rendre l'environnement plus favorable à notre position plus défavorable pour la position adverse
Les questions à se poser deviennent donc: quel était alors leur objectif stratégique et disposaient-ils de suffisamment d'informations pour évaluer les risques encourus et prendre les décisions minimisant les probabilités de ne pas rencontrer leur objectif stratégique?
Lorsqu'on regarde l'histoire économique et industrielle récente de la Wallonie (mais aussi de la Belgique) on ne peut qu'être frappé du nombre de décisions prises par les politiques qui pourraient être qualifiées de mauvaises et qui ont amené la disparition de nombreux de nos fleurons. De ce point de vue, on peut comprendre la sortie de Didier Bellens, le patron de Belgacom qui accusait récemment l'état belge d'être le fossoyeur de ses entreprises. En tant que citoyen, on aimerait croire que la Belgique puisse être un pays capable de conserver et de faire prospérer ses industries. Cette qualité passera très probablement par la mise en œuvre de démarches d'intelligence territoriales, et un meilleur investissement dans les efforts préalables aux décisions pour démasquer le plus rapidement possible les faux chevaliers blancs (qui depuis bien longtemps reposent leurs décisions stratégiques sur de vastes démarches d'intelligence stratégique).