A ce stade-ci, après avoir esquissé le modèle d'affaires global et quelques modèles secondaires, on a une vue meilleure compréhension de la situation, même si elle est incomplète et qu'elle appelle des précisions et pose de nombreuses questions. Notamment sur les intentions et les actes réels. Pour y répondre, ceux qui en ont les ressources, et qui y voient un intérêt (stratégique) fort, n'hésiteront pas à explorer de nouvelles pistes de collecte d'information. D'autres, comme nous, se contenteront du niveau d'incertitude atteint et en feront leur affaire. Pour les uns comme pour les autres, toutefois, l'exercice n'est pas encore totalement achevé. Il est intéressant de qualifier et de valider nos esquisses en exploitant certaines informations et impressions qui n'ont pas encore trouvé leur place sur les canevas. En testant la cohérence et les liens entre les différentes idées. Et ces réflexions nous amèneront sans doute à peaufiner nos BMC et à les modifier légèrement.
Les questions et incertitudes sont naturellement nombreuses, et il n'est pas facile de choisir le point de départ. Il sera donc arbitraire. Dans le cas qui nous préoccupe, je pense qu'une première précision à acter est celle du rôle des 4 parties prenantes étudiées. En se basant sur les déclarations et autres professions de foi de TEE, la mission de l'entreprise tourne principalement autour de la livraison des repas. Dans ces conditions, les consommateurs finaux sont bien les clients de TEE et les trois autres stakeholders étudiés trouvent leur place dans la case "partenaires". Les coursiers et les restaurants parce qu'ils sont surtout des "
facteurs de production", même si les restaurants contribuent de façon non négligeable à la capture de valeur. Les bailleurs de fonds sont également des partenaires puisqu'ils sont extérieurs à l'organisation et qu'ils ont un intérêt légitime au succès (auquel ils peuvent peuvent contribuer par quelques actions et conseils).
Un autre élément intéressant à prendre en compte est la hiérarchie des parties prenantes. Le travail réalisé jusqu'à présent me laisse penser que les efforts et les intérêts portés aux 4 parties prenantes ne sont pas homogènes. Les coursiers sont clairement au centre du débat au contraire des restaurateurs qui semblent en être les parents pauvres. Les clients sont l'objet d'attentions marquées, mais ne paraissent pas être la priorité de l'organisation. Quant aux bailleurs de fonds, la situation tendue que vient de vivre TEE en révèle l'importance. Le nombre de Venture Capitalists contactés (114) est certainement l'expression de l'énergie du désespoir, mais aussi sûrement d'un aveuglement et d'une volonté farouche de respecter un modèle d'affaires (une stratégie) contre vents et marées. Cette incapacité à pivoter (changer un élément significatif du business modèle) est probablement lourde de sens... De ceci, on peut conclure que les objectifs poursuivis par les porteurs du projet étaient surtout liés à la mise en place d'une "
machine logistique", bien avant la rentabilité et la satisfaction des clients (impression corroborée par les déclarations des fondateurs sur leurs comptes medium.com).
Le modèle d'affaires était (gravement) déséquilibré. Les dépenses étaient donc largement (et durablement) supérieures aux recettes. On peut en conclure que les ressources nécessaires étaient bien supérieures aux ressources disponibles. C'est la conséquence de la course folle à la construction d'une "
machine logistique" à dimension mondiale, à une vitesse supérieure à celle de l'acquisition des clients qui impose un différentiel coûts/recettes croissant. Qu'il y ait des clients, la réalité nous l'a prouvé. Toutefois, des informations disponibles, il n'apparaît pas clairement (au contraire) qu'il y en ait suffisamment pour faire vivre le modèle d'affaires. On a plutôt l'impression que la mariée était bien trop belle: une clientèle potentielle surévaluée et des coûts d'acquisition et de rétention sous-évalués. Qui plus est, dans cette course folle à toujours plus de villes desservies, il semble que les spécificités culturelles locales n'aient pas été prises en compte, alors qu'elles ont probablement un impact sur la réalité et sur la force du "problème" auquel TEE cherche à apporter une solution (besoin d'amener le restaurant là où on est).
La proposition de valeur ne résiste pas à un crash test de base. Elle ne présente aucun avantage concurrentiel fort, aucun "
unfair advantage" (avantage que les concurrents ne peuvent acquérir ou développer facilement) à opposer à la très nombreuse concurrence. Les meilleurs plats des meilleurs restaurants n'est qu'une promesse marketing. L'argument de la livraison rapide est bien fragile (5 minutes font-elles la différence?) et celui de la livraison à vélo tient du dogme. Quant à la qualité du service, tout le monde s'en targue... Par contre, il est apparu clairement que certains concurrents avaient un avantage fort, dont l'absence pour TEE a précipité la chute: celui de l'accès à l'argent!
On peut aussi s'interroger sur la proposition de valeur à destination des restaurateurs qui, objectivement, n'est pas particulièrement attrayante. Elle a certainement un impact sur leur sélection, et sur leur "coûts d'acquisition".
Au bout du compte, bon modèle d'affaires ou pas, bien exécuté ou pas, ce n'est pas le propos, d'autant qu'en absence d'information sur les intentions, les objectifs et les moyens disponibles, il est très difficile de porter un jugement. Même si chacun, au fil de l'analyse, s'est forgé une opinion. Par contre, ce qui nous intéresse, dans un exercice comme celui-ci, qui tient de l'analyse concurrentielle, c'est la trajectoire qui, même dans son imprécision et son imperfection, peut nous aider à prendre des décisions:
- craindre le concurrent ou pas
- prendre des actions, changer de posture, ou pas
- investir dans l'entreprise, ou pas...
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